Déjà le chemin du retour. Quelques privilégiés mis à part, l’année n’est pas aux longues vacances. Un crochet par les Alpilles (histoire de goûter aux bouchons de Saint-Rémy), se souvenir de Glanum, saluer Me Cornille, frôler la Camargue, se méfier du Diable de Vauvert, se cogner Montpellier, revivre à Marseillan, éviter de se faire Béziers, puis enfin respirer en retrouvant les oliviers du Minervois*, cousins de ceux qu’on a quittés au matin en Luberon.
Et, tout en cassant la croûte, je repense à une bouteille, bue là-bas, entre Goult et Gordes, en Côtes du Ventoux, arrivée sur table de façon un rien impromptue, et qui m’a interpellé.
Nous voilà en pleine tradition provençale, même si l’on sait qu’en matière ampélographique, la tradition… La légende du cépage qui remplit cette bouteille raconte qu’il aurait été offert à un pape avignonnais par un de ses légats espagnols mais comme souvent, la science, la génétique lui donnent tort: la counoise, c’est elle dont il s’agit, a au moins un parent dont l’ADN semble vauclusien, des côtes du Ventoux, l’aubun**, autrement nommé « carignan de Bédoin ». L’aubun me disait-on récemment*** est parfois confondu avec la counoise dont il est loin d’offrir les avantages gustatifs, plus dur, rustique, plus alcooleux aussi.
Car une des immenses qualités de la counoise, notamment sur les coteaux caillouteux, est d’être parfaitement mûre (au sens de la maturité phénolique) à 13% vol. Tout en offrant une robe lumineuse, claire et une structure aérienne, distinguée****, plus proche du grenache ou du pinot que du carignan, de l’alicante*****. Sur les alouettes sans-tête, le cochon de garrigue, préférez-lui l’émouvant bandol de Tempier, l’imbattable côtes-du-rhône de Charvin; réservez-lui les grives, la perdrix, les belles volailles…
Et cette bouteille alors, qu’est-ce que c’est? D’où vient-elle? Désolé, pas du Ventoux ni du Luberon, ni même du Vaucluse, ou de Provence. C’est mon dealer de Béziers qui me la procure, Philippe Catusse du Chameau Ivre. Il pêche ça dans une zone improbable du Languedoc, à Capestang, haut-lieu de la plaine pinardière de l’Hérault. En réalité, Capestang est l’adresse de la maison, les vignes sont plus haut, vers Saint-Chinian. Olivier Pascal, le vigneron qui produit ce « vin de soif intelligente » aux Terrasses de Gabrielle est un original, un esprit-libre qui plante de l’asyrtiko quand il revient de vacances en Grèce, du nielluciu de Corse, du brachet, du petit-verdot. Alors, que j’ai déjà tombé une caisse du « provençal » Pompon le cheval (la counoise), je me dis qu’il est temps que je m’arrête à Capestang, histoire de faire le tour du Monde… tout en songeant à la formidable modernité de la modeste counoise, et à l’opportunité qu’elle présente pour les vignobles méditerranéens.
*L’olivette qui illustre cette chronique se trouve à Cesseras, en pied de montagne, là où l’on produit l’extraordinaire pinot noir dont je vous avais entretenu ici.
**Ne pas confondre avec les aubins blancs et verts, croisements lorrains du gouais et du pinot.
***Jean-Baptiste Sénat, disciple capillaire de Theodor Hertzl (et de Jaurès…), me racontait que des coopérateurs avaient planté de l’aubun prétextant que c’était pareil mais n’en n’avaient pas été satisfaits. Il a d’ailleurs lui-même planté de la counoise en Minervois. Par parenthèse, j’ai bu avec lui un grenache fin et séduisant, L’Enclos de l’Âne 2012 qui mérite largement le détour.
****En l’état, le vin n’est pas d’une longueur infinie, mais d’un tel charme! En fait, en Provence, on y ajoute souvent du mourvèdre pour la densifier un peu si nécessaire. Histoire de relativiser, c’est une bouteille à 6-7€…
*****Même si, on le répète pour les bourounes, les misérabilistes, les nostalgiques , avec ces cépages de camionneurs il existe de magnifiques exceptions à la règle.
******J’ajoute que le grand Christophe Bousquet lui aussi en a planté dans La Clape.
quel plaisir de lire votre prose Monsieur Vincent: vive, humaniste, emportée mais précise, la nostalgie au bord du coeur, la verve prête à dégainer pour un mot de travers…. quel bel Occitan que vous êtes ! et qué délice de découvrir et déguster avec vous….je viens de relire votre émouvant papier sur Daguin. Je suis enseignant et vos saillies régulières me font penser à ces mots de Laurent Seigne, illustre pilard briviste qui disait parlant du rugby « y’a pas que des cons, mais ils y sont tous !… »
que voulez-vous, pour reprendre une expression chère au pays biterrois: le monde est plein de « pète-rouffles » !!!
Quoiqu’il en soit, merci infiniment de vos chroniques et conseils.
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