Le vin est un voyage.

Oh, vous le savez, je n’éprouve pas un amour immodéré pour la clique des prétendus Masters of Wine, leur scolastique surannée, para-commerciale, le vieux monde magouilleur qu’ils symbolisent dans le Mondovino, bref pour tous ceux qui rendent le vin chiant. Pourtant, ce matin mes pensées se tournent vers celui qui fut leur leader, Michael Broadbent MW. L’ancien expert de Christie’s nous quitte à l’âge canonique (à défaut d’être canoneur) de 92 ans.

Si je pense à lui, c’est moins pour les poncifs qu’il a distillés, ou ses exploits dans l’univers du « vinaigre pour milliardaire* » que pour la phrase géniale qu’on lui attribue, et que j’avais reproduite à diverses occasions, notamment sur des cartons de magnums.

Cette phrase m’a toujours réjouit, dans sa provocation, sa jovialité. Dans l’idée aussi que nous donnent du bordeaux les anciens lampeurs de claret. Fut un temps, bien avant qu’on invente la buvabilité pour remédier à la parkérisation, où le bordeaux devait être constitué de telle façon qu’un vieux lord puisse s’en siffler une bouteille minimum midi et soir. Sa qualité première était sa digestibilité, alors que l’on considérait que le bourgogne « pesait » un peu trop…
En attendant le « jour d’après » de l’excellente fin de discours saint-exupérien du Président de la République française lundi soir (« l’après fin du Monde » dont je vous parlais la semaine dernière**), alors que chaque bouteille sortie de la cave devient pour nous une balade, une carte postale, un voyage, une rencontre, une accolade, un échange, je prends donc virtuellement la route de la Gironde. Et je m’évade aujourd’hui avec un bordeaux qui symbolise, comme tous ceux de la nouvelle vague, cette buvabilité retrouvée, qui, pour reprendre les mots du MW, fait que « le magnum est le format idéal pour un couple, quand le conjoint ne boit pas ».

Et là, au coin du feu, ici dans la montagne minervoise, par la magie du vin, je repense à ce déjeuner estival au milieu des vignes, des forêts et des blés de Castillon-La-Bataille, à La Brande. Je repense aux beaux jours.
La table mise sur la terrasse, au grand air, avec même le petit bouquet de fleurs des champs. La cochonnaille, le boeuf de l’éleveur du coin, la braise de sarments, les verres qui s’entrechoquent, les bons et les gros mots, jusqu’aux éclats de rire à la fin, avec Olivier, Yann, Karl, en déconnant avec les jouets des gosses.
Le vin (le vin de terroir en tout cas) est un voyage. Dans l’espace et dans le temps. Plus que jamais il nous est nécessaire.
Cheers, Michael ! Et merci les frangins pour ce voyage immobile.

*Michael Broadbent a été mêlé à une polémique lancée par le milliardaire allemand Hardy Rodenstock, grand collectionneur de vins rares, et qui s’était fait fourguer, entre autres, des impériales de Pétrus des années vingt et trente forcément fausses puisque jamais produites au domaine, selon Christian Moueix. En était sorti un livre, Le vinaigre du Milliardaire. On en parle ici.
**Dans cette chronique pour ceux qui ne l’ont pas lue.

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