J’avais envie ce matin de vous parler de la façon dont mon GPS s’est misérablement paumé, et comme je me suis régalé sur des pistes perdues, hier après-midi, entre falaises et pinèdes, sous le soleil et le vent, au coeur de cette « île » méditerranéenne que demeure, près de Narbonne, La Clape. Le paysage m’a tellement brûlé les yeux que j’ai même oublié d’en faire des photos. Je voulais aussi vous raconter ce bourboulenc frétillant qu’on m’a servi quand enfin je suis arrivé à bon port, la profondeur du niellucciu* parfumé par la terre des belles jarres lauragaises que j’ai bu ensuite. Ce sera malheureusement un autre jour.
Malheureusement, parce tourne dans ma tête le texte d’une lettre dont j’ai été accessoirement le destinataire. Une lettre qui n’avait pas la ferme douceur du cépage corse, elle avait le goût des larmes, le parfum de l’angoisse. Ce genre de lettre qu’on ose écrire à cinq heures du matin, loin de chez soi, dans une chambre d’hôtel, lorsque la fatigue, le jet-lag affaiblissent les défenses immunitaires.
C’est une vigneronne qui s’exprime. Elle évoque sa peur du lendemain. Non pas qu’elle ait démérité, tiré au flanc. Tout le contraire, je la connais. Son domaine du Sud de la France est en pleine expansion, tout va bien, tout allait bien. Mais comme dans toutes les pathologies, la gravité de la situation est due à une accumulation de causes, la dernière étant l’épidémie de coronavirus et ses conséquence macro-économiques.
Alors, courageusement, elle s’épanche, s’adresse au maire de son village, à tous ceux qui voudront bien saisir cette bouteille à la mer.
« La situation actuelle dans la filière viticole est alarmante, tapote-t-elle anxieuse sur son clavier.
Le contexte social en France depuis le mouvement des gilets jaunes entamé en novembre 2018, suivi par les grèves concernant la réforme des retraites a déstabilisé le commerce en France pour l’ensemble des filières.
La taxation sur les vins français par le Président Trump aux USA depuis Octobre 2019 a ravagé nos exportations vers les USA.
Début 2020, le coronavirus en Chine est en train de paralyser les exportations de vins français sur
toute l’Asie.
Enfin avec moins d’effets nocifs à court terme mais tant d’interrogations, le Brexit perturbe aussi les exportations de vins français au Royaume-Uni.
J’attire donc votre attention à tous sur les difficultés réelles que nous rencontrons. »
Il est question d’emplois en péril, de factures qu’il faudra régler, de fournisseurs locaux auxquels on commandera moins, auxquels on ne commandera plus, du regard bienveillant des banques…
« À ce jour, je suis très inquiète sur la poursuite de mon activité dans le contexte national et international actuel.
Le marché français représente pour nous 60% de notre CA. Sur les 40% du CA Export, la Chine, 70% et le marché USA était en pleine expansion jusqu’à octobre 2018 (progression à deux chiffres d’une année à l’autre). »
…/…
« De fait, de l’étude de la situation financière de mon entreprise par rapport au dernier bilan faite par la Banque de France, en résulte une modification de notre cotation de G3 à G4+.
Or, nous avons tous entendu ce même discours du gouvernement, demandant une tolérance exceptionnelle en 2019 pour les entreprises de la part des groupes bancaires en raison de la crise sociale en France qui perdure d’ailleurs.
Nous avons le sentiment que cela n’a pas été le cas. »
…/…
« Au nom de mes fournisseurs, de mes salariés, au nom de l’ensemble des opérateurs de la profession viticole, mon devoir est de vous alerter. Que mon exemple aussi petit qu’il soit puisse servir à l’ensemble de la filière viticole car mon entreprise n’est malheureusement pas un cas isolé. »
Le parti des ricaneurs, ceux qui sont pour tout ce qui est contre, qui généralement ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, va évidemment rétorquer qu’elle n’avait qu’à vendre son vin en France, à côté de chez elle. Ben oui…
Mais c’est grâce à ce genre de femme, qui ne compte pas les heures, et qui ne passe pas ces heures à calculer sa retraite, que la filière vin et spiritueux constitue le second contributeur au Commerce extérieur français, derrière l’aéronautique. Grâce à ce genre de femme que vivent des centaines de milliers de familles. Grâce à ce genre de femme que notre pays reste, qu’on le veuille ou non, un des plus riches, un des plus favorisés au Monde.
Alors franchement, plutôt que de tirer dans le dos des vignerons comme le font les associations prohibitionnistes subventionnées, plutôt que de suivre comme des boeufs les singeries moralistes anglo-saxonnes du #dryjanuary et autres fadaises, il est temps de soutenir une filière qui nourrit davantage son homme que les fonctionnaires qui la prennent pour une vache-à-lait**. Certes, ce qui arrive à une partie du vin français fera jubiler le parti des ricaneurs sus-cité, ceux qui (plus ou moins discrètement) se réjouissent de la misère dont il font leur miel. Moi, comme beaucoup, je pense à ces familles de propriétaires, d’employés, de fournisseurs, qui n’envisagent pas avec gaieté, avec sérénité ce début de décennie. Sans que cela, évidemment, n’efface le sourire du vigneron de la Clape*** après le nielluciu. Car au-delà de toutes les vicissitudes, le vin est une fête.
*Appelez-le sangiovese si l’Italie vous chante plus à l’oreille, mais ainsi sans fadaises, rigoureux et profond, empli de musique intérieur, et marié à la syrah, il me parlait de mes amours corses.
**Enfin, bon, même le lait, on n’ose plus en causer, parce que chez tous les instables à l’affut des modes de pleureuses, après le méchant alcool, le cruel gluten, il est de bon temps de conspuer ce terrible poison qu’est le lait.
***Olivier Calix, au Domaine Sarrat de Goundy, à Armissan.
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