Le vin est une fête. Et malgré tous les errements, tous les trafics, l’arrivée du beaujolais-nouveau demeure une fête dans la fête. Avec tous ses codes, d’ailleurs, ses légendes comme les habituels avis d’expert sur le « goût de banane »*, et parfois ses mauvais côtés qui contrairement à la gueule-de-bois peuvent précéder le troisième jeudi de novembre au lieu de le suivre.
Parmi les peines les plus lourdes prévues par la loi de l’emmerdement maximum de l’avant-boire (avant le conseil foireux du journaliste poli**, la pipe à Dubœuf de la pute pinardière***, le naturisme aveugle du blogueur en quête de clics et l’enculade du bouchonnier à l’ancienne), il y a le transporteur.
Car, contrairement à une autre légende, radiophonique et vaguement autoroutière, les routiers ne sont pas sympas. Et parfois nous font cocus.
Qui n’a jamais entendu un vigneron, un caviste, un restaurateur… pester contre cette palette qui devait arriver il y a une semaine et qu’on attend toujours? Eh bien, pour ce beaujolais-nouveau 2018 commandé pour fêter la fin de la remise à l’heure des pendules de L’Horloge****, j’ai eu le plaisir de faire une rechute de « maladie des transports », une pathologie contre laquelle les antibiotiques, la chimiothérapie ou même l’homéopathie sont impuissantes, il semble bien qu’on soit, en France notamment, face à un mal incurable, la pandémie a même l’air de gagner du terrain.
Ah, on l’attendait, le livreur de pif…
Il a fini par descendre de son camion, vaguement goguenard, genre « vous allez rire, il manque un tiers de la commande ». Effectivement, sur les six caisses de beaujolais-villages-nouveau de Xavier Benier, deux manquaient à l’appel, vingt-quatre-bouteilles évaporées qui, comme de bien entendu, allaient être livrées « le lendemain ».
Je vous passe les nombreux coups de fil aux entrepositaires de la compagnie en question, limite agacés, voire offensés, par le fait que l’on s’inquiète de cette disparition inquiétante, la médaille d’argent de la désinvolture revenant à une conseillère***** lyonnaise, battue sur le fil par un interlocuteur toulousain culturellement inspiré par le proverbial sens commercial des postiers cégétistes. Bref, les colis étaient introuvables, égarés, « non-flashés », disparus, cassés éventuellement; jamais le mot fatidique ne fut prononcé : « volés ». Sauf par moi, ce qui suscita des hurlements de pucelles effarouchées.
Pourtant parlons-en de ces bouteilles disparues, sûrement enlevées par des extra-terrestres en mal de jaja. Je pense en particulier, au-delà du beaujolais-nouveau, aux vignerons champenois qui, à l’approche des fêtes de fin d’année, doivent impérativement s’abstenir de mentionner l’effervescence de leur expédition sous peine de la voir amputée d’un très lourd « impôt révolutionnaire » dont les bulles doivent égayer les longues soirées d’hiver dans les soucoupes volantes martiennes ou vénusiennes.
Allez, quittons cet univers qui pue le diesel, l’inefficacité et les vilains bobards! Et revenons-en à des choses plus gaies, au beaujolais-nouveau. Grâce à Jean-Paul Boulet, le caviste du Passage d’Agen, nous ne mourrons pas de soif. À défaut de nous remplacer les bouteilles « égarées », il avait en stock le vin d’un voisin, l’excellent Jean-Claude Lapalu, ce qui n’est pas mal non plus et a de grandes chances de compléter à merveille l’arrosage des soirées à venir (samedi, ça va donner…). Quant au beaujolais-villages de Xavier Benier 2018, comme chaque année******, c’est un élégant délice qui pinote si aimablement qu’on en oublierait presque, cochonneries à l’appui, les pirates de l’autoroute.
* Pour ce qui est des experts, j’en parlais ici, et pour le goût de banane, si vous voulez arrêtez de dire des bêtises (notamment en expliquant que ça ne concernait que des vins industriels sauvagement levurés) je vous avais tout expliqué dans cette chronique.
** Celui qui n’a pas lu La défonce du consommateur…
*** J’en ai encore lu une ce matin d’une « ambassadrice » (sic) du picrate, pratiquant avec allégresse le plus vieux métier du Mondovino.
**** Mes amis d’Auvillar que j’aidais à donner un coup de frais à leur restaurant.
***** J’adore ce terme moderne, technocratique, qui transforme le caissier, le vendeur de jadis en « conseiller », un peu comme la femme de ménage était devenue un technicien de surface, et, chez les profs, le ballon, un « référentiel bondissant ».
****** À Barcelone, je m’en régalais à L’Ànima del Vi, longtemps le seul établissement de cette ville où le vin est un snobisme comme un autre à respecter la tradition du beaujolais-nouveau (de qualité).