Pour six Gascons*, prendre trois kilos de gras-double** et un pied de veau.
Le pied, à l’eau froide, dans une grosse marmite.
À ébullition, gros sel de Gruissan (celui à l’horrible emballage***) ou d’ailleurs, poivre en grains, thym, laurier, pointe de quatre-épices.
Une heure plus tard, ajouter la tripe découpée, mais pas trop. Il faut que dans l’assiette, au terme de la cuisson qui sera forcément longue, on puisse lire ce que l’on mange, sinon le plaisir est gâché.
Moment-clé : la générosité. Faire tomber au minimum deux belles têtes d’ail rose de Lautrec, reconnaissable à sa couleur Barbie, et à sa hampe florale rigide.
Trois oignons-paille hachés grossièrement (les esthètes se laisseront aller à la douceur de l’oignon de Citou****). Cinq-cents grammes de rondelles de carottes, deux poireaux, une bouteille de gaillac-blanc-sec, un trait d’armagnac, une première pincée de pistil de crocus (du safran quoi…), pour la couleur.
Laisser cette histoire à petit bouillon pendant quatre heures au moins. Allez occuper vos mains ailleurs, sur le dîner, un corsage ou ce qui vous chante.
Laisser refroidir. Transvaser, en triant les os de pied et en pressant les têtes d’ail afin d’en extraire la substantifique moelle, dans un plat à tripes, l’idéal étant ceux en terre confectionnés au Mas-Saintes-Puelles, en Lauragais, par la famille Not. C’est le moment idéal pour intégrer un bon peu de safran. La tripière aura préalablement été désinfectée à l’aide d’une gousse magique.
Enfourner, genre four de boulanger en train de s’éteindre, 130-140°C. Comptez douze heures minimum, mais (c’est important!) en fractionné, avec de longues périodes où la tripe refroidit et repompe le jus parfumé. Penser aussi à casser la croûte, le gratin, et à mouiller avec le restant du bouillon.
J’évoquais plus haut la « gousse magique », il va de soi que c’est en partie là que réside la puissante sorcellerie de ce plat. L’ail chasse les importuns, les grossiers, les précieux en tout genre*****. Les vampires aussi. Au passage, il nous tonifie. Et purifie l’air de ceux qui nous le pompent******.
La tripe remplit le même office, elle fait fuir le malpoli, le gringo dégueulasse, l’irrespectueux de la Nature. Comme je me plais à le répéter, si l’on tue un animal, ce n’est pas pour en foutre la moitié à la poubelle. Donc plutôt que de faire des simagrées végano-écolos, mangeons des tripes, des abats!
J’ajoute, pour les souffreteux, qu’un éminent professeur de Médecine du Balkanistan m’a fait savoir que ce plat possédait en outre des vertus érectiles de tout premier ordre, d’où son surnom proverbial de Viagra tarnais…
Au petit-déjeuner (c’est autrement plus civilisé que les corn-flakes et autre porridge des sauvages!), on accompagnera ce plat identitaire de café noir ou de blanc sec comme il était jadis coutume de le faire au merveilleux bistrot La Tripe albigeoise sis sous la cathédrale Sainte-Cécile, près des anciens abattoirs de la préfecture du Tarn. À table en revanche, je préfère arroser ça d’un rouge frétillant: ici en Minervois, Esprit d’Automne de Borie de Maurel, à Gaillac d’un Papillon d’Orphée ou autre braucol intelligent. Une négrette frontonnaise ou un auxerrois cadurcien ne seront pas non plus à négliger.
Aujourd’hui, toutefois, nous allons oser une pointe d’exotisme avec un pinard d’esquimau, de l’extrême-nord de la Bourgogne, un coulanges-la-vineuse. Joli petit négoce de Vini Viti Vinci récupéré à Narbonne, au Célestin de Xavier « Minot » Plégades qui, par parenthèse, nous a également régalé en terrasse d’un cornas encore accessible (la syrah, pas assez rustico-prolétarienne, ayant elle aussi la vertu de chasser d’autres importuns, les snobs…*******).
* ou douze Parisiens, ou vingt-quatre Japonais, est-il besoin de vous rappeler le refrain auscitain ?…
** J’aime bien l’idée de mêler deux tiers (ou trois-quarts) de gras-double aux autres morceaux de tripes, bonnet, etc… Un grand salut en tout cas à l’aimable (et excellent) tripier des halles Prosper Montagné de Carcassonne, Jean Guillaume, des commerçants comme ça, c’est la mort du pousse-caddie.
*** Heureusement mon pote Codor (celui du Pic-Saint-Loup) leur a refait la devanture, il est temps qu’ils l’utilisent!
**** Village du Haut-Minervois, au dessus de Caunes, connu pour le sucre de ses oignons et de ses pommes.
***** Il existe de très très rares cas d’intolérance, quantité epsilonesque. Aucune tolérance en revanche pour les héritiers racistes de Michelet qui dans son Histoire de France (tome III) dédaignait la « race » des « mangeurs d’ail, d’huile et de figues » qui « rappelaient aux croisés l’impureté du sang moresque et juif », le Languedoc leur semblant « une autre Judée ».
****** Oui, le livre aillé arrive…
******* J’en parlais ici-même hier.