Le petit chemin, l’espoir.

On parle de crise viticole, elle existe. De plans de soutien, tant mieux. Même si, forcément, dans un pays aux caisses vidées par tant de décennies de gabegie, de dépenses somnifères, analgésiques, calmantes, beaucoup les trouveront insuffisants.
De quoi demain sera fait? Comment va-t-on payer l’ardoise? Rembourser le crédit à taux d’usure du cadeau empoisonné made in PRC?
Les vignerons ne sont pas les seuls à se poser la question, quitte à ne pas en dormir la nuit, à quelques jours des vendanges. Tous ceux qui ont un brin de cervelle, qui ne pensent pas qu’aux sacro-saintes vacances, souffrent de la même insomnie. Voient la violence, la colère monter; la culture, l’humanité reculer; les minorités aux yeux tristes de sang vociférer jusqu’à la parodie d’elles-mêmes; la vilénie se nourrir de ces caricatures; les regards se détourner; la crétinerie battre des records en Bourse* où déjà Trump, Garrido, Hanouna, étalons-or de la bêtise, font figure de « valeurs-refuge » pour la populace. Le soleil brille sur les vignes que je traverse mais tout semble à point pour le voyage au bout de la nuit.

La route est belle, pourtant. Simplement belle**. On est vers Aigne dans ces collines encore secrètes du haut-Minervois qui me rappellent le Luberon de mon enfance.
Elle parle de Méditerranée, de cigales, de pinèdes. Une route latine où, en apparence, rien n’est compliqué. C’est sûrement ce que se diraient les automobiles pressées quoique gauches des estivants, dont les hordes bataves, flamandes, anglo-normandes, franciliennes se sont disséminées dans la région pour oublier leur réclusion printanière. Las (hypocrite!), leurs GPS semblent l’avoir omise. L’intelligence artificielle a ses limites, la poésie en fait partie.
Elle parle de liberté. Plutôt que de la parcourir dans une caisse de tôle, elle donne envie de Mobylette, de ce vieux clou sublime que je voulais enfourcher à Minerve en remontant d’un restaurant au site sublime mais subliment gâché par la quintessence du goût-de-chiotte métronomique. Comme pour me laver à la climatisation parfumée des garrigues.

La route parle de vie. M’évoque le vin. Bizarrement, pas un vin des lumineux calcaires d’ici, qui rassérène. Ou des argiles limoneuses d’en bas, plus désoiffants. La langue salée par l’air marin***, j’ai envie des rafraîchissants tanins d’un bordeaux. Dans ce monde sucré, un rien mollasson, cocacolesque****, on ne fait pas assez cas des innombrables vertus des tanins. Ceux du petit-verdot ont souvent effrayé. On disait en Gironde qu’ils ne mûrissaient que deux ou trois fois par décennie.
J’ai une profonde tendresse pour ceux de Xavier Landeau, à Saint-Vincent-de-Paul. Même quand je les bois sans le bocal de lamproie ni l’entrecôte grillée de la souillarde. Sur l’entrecôte d’ailleurs, d’ailleurs, je tâterais la soyeuse étoffe de son Chemin de la Vie, du nom d’une autre route latine, la voie romaine qui passait devant chez lui, reliant, parfois sur pilotis le Bec-d’Ambès à Bordeaux. Là, c’est l’été, modeste, je me contente de son Petit chemin, une cuvée dont les jeunes petit-verdots ne souffrent pas le soufre et éclatent de fruit*****.

Le long de mon petit chemin à moi, entre Aigne et Azillanet, il y a la vie.
Il y a, en surplomb de vignes alignées tels des petit soldats (ne jouons pas non plus aux populistes, il en faut également) auprès du ruisseau des Perdigals, une micro-parcelle, un micro-plantier de grenache, celui qui illustre le début de la chronique, perché sur une restanque dont un olivier famélique mais vigoureux, sec comme un vieux jardinier, consolide le muret.
Imaginez le type, impavide, sourd aux menaces du temps, qui plante ce lopin de terre, quelques ares, une poignée de pieds. Je l’ai croisé au printemps, j’aurais du m’arrêter, le remercier. Ne serait-ce que pour son immense talent de dessinateur de paysage. Pour l’espoir aussi, pour l’espoir surtout. Peu importe qu’il soit fol, anachronique, dérisoire. Il est la lumière au bout du chemin.

*Je relisais, terrifié, il y a quelques jours un vieux papier du Point sur une étude constatant l’inexorable chute de notre quotient intellectuel, celui des occidentaux en tout cas, Français en particulier. On émet des hypothèses sur l’abrutissement en cours: la boîte-à-con évidemment, puissant rouleau-compresseur, l’alimentation. Bienvenue à l’ère des Kevin et des Vanessa.
**Me vient justement le souvenir d’un papier écrit en 1997 ou 1997 dans un magazine, à propos de ce bout de départementale (ou de vicinale): La plus belle route du Monde, c’était son titre. Sa pinède a depuis souffert d’un incendie crétin, comme la plupart des incendies, et l’Équipement a déséquipé son aimable petit pont, versant ouest, du figuier qui lui faisait de l’ombre. Elle reste pour autant magique, été comme hiver. Il faudra que je le retrouve, cet article, pour rigoler.
***Il aurait fallu que vous voyiez, ce matin encore, les vagues brumeuses de Méditerranée qui venaient recouvrir la plaine languedocienne, jusqu’à lécher la montagne. Une sorte de garantie contre la canicule qui cogne sur une bonne partie de la France.

****Par parenthèse, la dernière pub « inclusive » de l’empoisonneur américain pour la France est une merveille, « racisée », « issue de la diversité » à souhait, au moins aussi chargée en bons sentiments marketinguement corrects que sa merde en sucres et produits toxiques. Au championnat du Monde des faux-culs opportunistes, on tient la médaille d’or.
*****Comme souvent chez ce vigneron (et à Bordeaux finalement…), ça coûte une misère, moins de 10€, largement.

5 réflexions sur “Le petit chemin, l’espoir.”

  1. Je publie ce texte, et une demi-heure plus tard, je reçois un message d’une excellente vigneronne (qui évidemment restera anonyme). J’en ai les larmes aux yeux. Je ne sais pas si je dois le publier. Je le fais quand même. On est si loin de la volaille qui prétend faire l’opinion…
    « Ce matin levée à 2h30 pour aller traiter, traiter contre les vers qui cette année ne nous épargnent pas plus que le mildiou de ce printemps et de l’oïdium de ces dernières semaines. La gueule de bois, sans avoir pris de cuite, mais celle que l’on a à force d’insomnie, ne voyant pas le bout du tunnel… Je n’ai pas traité, je suis restée assise au milieu de la cave à pleurer. Je perds chaque jour un peu plus l’espoir qui me fait tenir depuis maintenant XX ans… cet article tombe à point, la lumière n’est peut-être pas au bout du tunnel, mais au bout du chemin finalement. Merci Vincent. »

    1. C’est vrai qu’il faut avoir du cœur! pour poursuivre sa route…
      Mais la lumière n’est surtout pas au bout du tunnel, il y a trop de monde dedans.
      ça rappelle les énormes embouteillages de ce mois d’Aout.
      Non, ce n’est pas non plus au bout du chemin, mais le long du chemin que la Vie revient et nous guide. Chacun y trouve le sien.
      En espérant qu’on nous laisse un peu de temps.
      Amitiés à toi et à ton amie vigneronne.

  2. Toutes nos pensées et toute la force possible à nos amis vignerons et paysans qui nous nourrissent, nous abreuvent de la meilleure des façons…
    En ces temps difficiles, disons-leur qu’ils ne sont pas seuls, que certains d’entre nous (occidentaux mais réfractaires au pousse-caddie, à la boîte à cons et à la baisse de QI) font tout pour les aider et les soutenir ! Ne nous laissez pas tomber, nous avons besoin de vous ! Pour les plaisirs de la table , pour le plaisir des bonnes choses, pour la vie!

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