Le jour d’après, nous y sommes.

Quand j’ai appelé mon pote, la semaine dernière, pour réserver la table de ce mardi 2 juin, le mot m’est venu naturellement: « tu sais, Biquet, c’est la Libération qu’on vient fêter chez toi! »
Oh, je sais, c’est excessif. Quoi de commun entre ce que nous avons vécu, vivons et ce qu’ont connu nos grands-parents, arrières-grand parents? Il n’empêche que dans notre pays d’enfants gâtés, ces 79 jours sans restaurant ont constitué une petite épreuve qui nous donne un léger aperçu d’autres, bien pires, que nous vivrons peut-être, que vivrons sûrement beaucoup d’habitants de la planète.
En réalité, ceux auxquels je pense aujourd’hui sont les cuisiniers. J’ai envie d’écrire « les vrais ». Qui ont des fourmis dans les mains, qui toujours se souviennent que nourrir l’autre est le plus bel acte d’amour.

Je me souviens du jour d’avant, du 14 mars, juste après le discours du premier ministre. L’angoisse, les larmes de cette restauratrice vietnamienne venant d’apprendre en ce samedi soir qu’à minuit elle devait foutre tout le monde dehors. Que demain, la semaine suivante, le mois suivant, elle ne rouvrirait pas. Je lui souhaite, à elle et à son tigre-qui-pleure, un heureux retour à la « normalité ». Sa grande terrasse derrière les bambous va plus que jamais lui servir, espérons que le saint-chinian rosé et l’alcool qui fait voir des nanas à poil y couleront à flots.

On boira du rosé d’ailleurs ce soir, celui dont je rêvais dans cette chronique du jour d’avant. Le « rosé des sources » de Valérie Courrèges & (un peu) Mathieu Cosse. On boira ce qu’on voudra. On mangera peut-être aussi du poisson, ce poisson qui à la montagne nous a tant manqué*. Mieux encore que de manger en terrasse, on sera les pieds dans le sable, à Leucate. Au grand air. Et merde à Météo-France**!

Je pense à tous les cuisiniers qui ont le trac ce matin. Aux restaurateurs aussi. À tous ceux qui rouvrent ce midi, ce soir, demain, le week-end prochain. Vous êtes du bonheur, du plaisir, de la vie. Et du business aussi, la richesse de ce pays, c’est vous qui la créez***, pas les fonctionnaires vétilleux qui viennent vous faire chier, et dont beaucoup se sont planqués durant ces deux mois, pendant que vous vous convertissiez au take-away, au drive-in (oh, les vilains anglicismes!), à la boulange… pendant que vous tentiez de sauver les meubles, de vous sauver la couenne. Je vais vous avouer un truc, durant cette « drôle de guerre », j’ai même mangé un hamburger, avec de la sauce. Pour la cause.
Je pense aux Horlogers, aux petits Codor, à leurs grandes terrasses, aux rires sous les platanes, les micocouliers, à cet autre panonceau à l’entrée: « Ici, l’assiette du « Monde d’après » sera exactement la même que celle d’avant. Saine, fraîche, locale. Pourquoi changer? En revanche, sans céder à la panique, nous avons mis en place, avec un soin identique à celui que nous accordons à notre cuisine, toutes les mesures qui interdiront à ce vilain virus d’importation de venir gâcher votre plaisir et vous empêcher de profiter de l’air pur de notre terrasse campagnarde. »
Je pense à ceux qui ont les couilles (l’inconscience?) de se lancer cette année, à Benji, à Robert, qui malgré tout vont remettre en route le bistrot du village.

Je pense aussi à ceux pour lesquels c’est un peu plus compliqué. Sans extérieurs, installés dans des lieux exigus, équipés d’une municipalité radine, serrée du cul qui leur refuse un bout de trottoir (je l’ai vu à Lézignan). Beaucoup se battront, certains y laisseront leur affaire. Le virus fera des morts, et pas que dans les hôpitaux et les EHPAD.
Je pense enfin aux pessimistes, aux syndicalistes, à ceux qui ne veulent pas rouvrir.
Certains d’entre eux ont fait leurs calculs, 1+1 ne font pas 2. D’autres pensent (je leur souhaite de se tromper) que les clients « n’ont pas hâte de retourner au restaurant »; c’est en tout cas ce qu’affirmait Camdeborde à Sud-Ouest. Pour d’autres encore, c’est parfois aussi un refus de remettre en question les façons de faire d’avant. de « changer de métier ». On ne peut forcer personne. Je constate juste, en prenant l’exemple des cavistes****, que ceux qui ont rouvert tôt, se sont adaptés, se sont « réinventés » comme on dit dans le poste, ont sauvé la mise, voire, parfois, ont bien travaillé. L’un deux me disait hier, « on a fait juillet en mai ».

À tous en tout cas, connus ou inconnus, qui nourrissent la France, je souhaite bon vent. Il paraît que ça chasse les mauvais virus, le vent. Bonne reprise, régalez-nous. On saura répondre présent.

*À propos de poisson, Alexandre, le Pinarologue sètois, merci, mille mercis pour ce grand thon de ligne à l’apéro hier soir. Divin! Et désolé pour mon putain de bouchon. Fuck le liège. Ou en tout cas l’abus de liège, tellement ringard, tellement « monde d’avant »…
**Et à son app bouffée par la pub, putaclic. Enfin bon, aux dernières nouvelles, il fera beau. Même s’il avait plu, ça n’aurait rien changé.
***Ici, il est question de loisir, donc on pense à d’autres « Libérations », le rugby, l’opéra… et forcément à tous les entrepreneurs, quel que soit leur secteur d’activité. Hauts les coeurs!
****La carte que j’avais mise en oeuvre avec les plus vaillants d’entre eux a montré un net fossé entre les « jeunes » et les « vieux » (et ce n’était pas une question d’âge), entre ceux qui ont tapé dedans et les velléitaires. Certains auront davantage de mal à s’en remettre.

5 réflexions sur “Le jour d’après, nous y sommes.”

  1. Nous remettons le couvert ce soir. Avec quelques interrogations en tête mais surtout beaucoup d’espoir.
    Ces mots, pour nous, sont magiques.
    Merci!

  2. Et oui, la vie reprends ses aises et c’est bon ! Et les rires et les chants et les beaux parleurs en laissant par coté les mauvaises augures. Et comme ponctuent les amis Corses : E viva !

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